voluptatès : suite
Comme se tenant à l’extrême bord d’un gouffre sans
en franchir le seuil avec elle, il demeure impassible, se perdant dans un abîme
factice qui s’étendrait dès la pointe de ses bottes et dont le fond, si
lointain qu’on n’en aperçoit qu’une vague noirceur sous la brume, est promesse
d’effroi.
Seuls ses yeux semblent s’animer et brillent, d’un gris
aussi nuageux que jour d’orage.
C’est la seule indication visible de son humeur en cette
heure de gloire ou l’homme s’est satisfait de rester maître et le Prince
d’avoir conforté les fondements de son vice.
La colère vous sied à merveille ma Chère…
Le ton est
impavide mais qu’elle ne s’y fie d’une quelconque façon car sous le miroir
lisse de certains lacs, s’agitent tout au fond sous la vase ou dans l’onde
troublée nombre de monstres aux yeux pâles et froids.
Il ne pouvait manquer le moindre changement d’attitude, il
s’y attendait, mieux ! Avait œuvré pour cela. Quel délicieux tribut pour son
frère Léviathan que la colère de cette femme. Prévisible évidemment, double
contribution même songe t’il comblé, car Bélial n’est pas en reste de son orgueil
qu’elle veut croire bafoué.
Ne prenez si vite ombrage de vos chairs tourmentées
dans l’habitude que vous avez de les satisfaire … pour quelques écus. Ajoute t’il, perfide, après un court
silence. Je ne vous ai pas même ouvert ma bourse et vous étiez toute
prête à m’accorder crédit.
Je suis flatté.
Et quoi de plus
enragé qu’une de ces femelles frustrée ?!
Celle-ci est pourtant remarquable de sang froid alors que
d’autres, la plupart, seraient déjà à larmoyer, répandues à ses pieds, jouant
l’une des seules cartes qui, au lieu d’améliorer leur jeu, du moins à ses yeux
à lui, ne sert qu’à les perdre irrémédiablement.
Plus rarement certaines s’en trouveraient courroucées
telles des furies écumantes à le vouloir déchirer de leurs jolies dents.
L’aigreur enlaidit mais la colère à parfois cette
estimable faculté de donner ce surcroît de caractère qui manquait justement.
Mais elle dispose de bien des attraits. Il le lui a
montré. N’était-ce pas suffisant pour sa fierté de femme ? Certes pas quand
l’entrecuisse est chauffé à blanc !
Avisant le coutelas signant un geste de dépit,
Nul besoin de cet ustensile. Le banc de poularde se
déchire avec les dents et les doigts.
Et puis j’aime toucher ce que je porte à ma bouche.
Une provocation.
Encore.
Délaissant assiette et plat vidé. Il sirote une autre
coupe, appréciant le roulis du breuvage jusque dans sa gorge. Apaisant et
excitant à la fois. Puis se lève et disparaît quelques instants, revient chargé
d’une jatte de crème. Tiède encore. D’une couleur claire de peau crémeuse que
le soleil n’a pas gâchée. Quelques grains de vanille grasse et noire en crèvent
la surface.
L’odeur le fait saliver. D’odorantes bouffées sucrées lui
parviennent à intervalles réguliers, il en frémit.
Plutôt que de rester sur une déconvenue, cruelle certes,
mais prévisible, Lolite saura t’elle accompagner le Prince de la
Gourmandise dans ce qu’il a de meilleur ?
Mais les femmes sont si ... rancunières, parfois.
Goûtez moi ceci. La seule chose qui vaille la peine de
risquer une damnation. Justifie
t’il en clignant d’un oeil moqueur.
La
douceur d’une peau sur des lèvres, la chaleur d’un corps sous des mains en
dessinant les contours , le parfum subtile d’une Belle, des yeux de braises,
des mots dit comme autant de promesses, enivrant les sens. Mieux qu’un alcool
ces moments de volupté où deux êtres inconnus se découvrent lentement, du bout
des lèvres, du bouts des doigts, sans rien omettre . Bagerand écouta
l’Enivrante énumérer un menu sommes toute prometteur, laissant déjà son imagination
vagabonder sur chacun des plats annoncés.
…… une pluie de baisers au goût de cumin…
Ses yeux se
posèrent sur ses lèvres…….
...Une salade composée de doigts enlacés, aux effluves
d’hydromel…
Ils glissèrent de
ses lèvres à ses mains…. Passant discrètement sa langue sur sa lèvre inférieur.
...Surprise du chef flambée sur un lit de nouilles et
pommes de terre sautée…
Un sourire
malicieux vint éclairer son regard qu’il laissa traîner sur la Belle, qui
féline, vint se coller contre lui, l’enfiévrant déjà.
Assurez moi, Belle cuisinière, que ces plats seront à
profusion………
Laissa t-il
échapper dans un murmure au creux de son oreille, lui happant le lobe au
passage.
Le menu me paraît plus qu’appétissant si on ajoute un
soupçon de gingembre à cette pluie que vous me promettez. La faim me
tenaille….. ne tardez pas à servir…
Il ne lui laissa
pas le temps de répondre et alla cueillir ses lèvres l’enivrant d’un baiser
gourmand. Il laissa glisser une main sur sa taille, faisant remonter au passage
l’étoffe de son corsage largement ouvert.