Voluptatès : suite
Il se prit à sourire de
l’incongruité de la situation, au demeurant fort troublante ; Lui, attablé dans
la chaude clarté d’une cuisine aux celliers généreux ; Elle, la très exquise
tenancière d’un haut lieu de plaisirs Narbonnais, en face à face et non point
entrelacés au fond d’un sofa. Mais il est vrai que pour Asmodée, les cuisines
étaient des endroits hautement aphrodisiaques et qu’il s’y pouvait passer bon nombre de choses. Sans
compter qu’il aimait être là où justement on ne l’attendait pas.
Chaque geste, chaque mot est une invitation. Comme il le
lui a déjà dit, l’accueil est en tout point admirable, jusqu’à la moindre de
ses coquetteries.
L’air est saturé de désirs fébriles et montrés du bout des
yeux, du creux d’une paume posée sur lui, ce qui ne manque de provoquer un
frisson, à peine réprimé.
Il ne manquait que le toucher. Sa voix parait légèrement étouffée quand il
fait cette remarque, il a aimé voir son doigt nappé de sauce entrouvrir ses
lèvres, elles brillent maintenant.
Une longue table, comme un autel païen où rendre grâce à
quelque divinité gourmande. Elle les éloigne, choisissant des places opposées,
décuplant l’échange muet qu’ils ont initiés depuis leur rencontre. Ou par
prudence. Comme se gardant d’être ce mets de choix inévitablement convoité tout
en le souhaitant ardemment. Les femmes ont de ces contradictions parfois.
Il entama plus que sa part de poularde en ayant soin
de garder ses yeux rivés à ceux de sa divine hôtesse. La chair était cuite à
point, ruisselante d’un jus savoureux elle se faisait en bouche chaude et
moelleuse et chaque bouchée le rapprochait d’une félicité non feinte.
Que dire de ce qu’elle pouvait lire dans son regard ?
C’est elle qu’il dévorait, comme ces os qu’il dénudait et
qu’il suçait ensuite avec délectation. Arrosant le tout de ce vin qu’elle avait
laissé s’aérer.
Un cru choisi. Vous êtes une connaisseuse Lolite, et
ceci me ravit tout autant que le feraient, sans doute, d’autres talents qu’il
me semble vous voir posséder.
Nul
besoin d’en dire davantage, c’est un hommage brûlant du Prince, un aveu de
l’homme à la femme qui pourrait le mener à libérer l’animal s’agitant en lui...
Elle ne savait comment réagir face à lui. Elle était
la catin tenant ce bordel, la cerise sur le gâteau. Elle avait vécut bien des
choses, qui en feraient rougir plus d’un ! Pourtant, en cet instant, alors
qu’elle n’avait qu’une envie, celle de faire voler son masque et d’être prise par
lui, elle faisait tout pour garder un minimum de distance.
Etait-il roi ? Prince ? Avait-il du sang royal ? Aucune
idée. Et… En fait Lolite s’en fichait. Mais il l’impressionnait, elle ne
l’était pas souvent, et ne voulait de ce fait gâcher ce moment.
Le repas avait commencé, elle pouvait assouvir sa faim
mordante, et se servit une belle part de poularde. Bu un peu, croqua dans la
viande cuite à point, mais se rendit bien compte que son ventre n’appelait pas
ce genre de chair…
Connaisseuse je ne
sais pas, j’aime le vin. Je le trouve bien plus digne que tout autre alcool, à
la fois sauvage et doux, excitant les personnes de la plus belle des manières.
Elle se lève, marche lentement vers lui,
caressant la table du bout des doigts…
Il vous prends doucement
d’abord, caressant vos narines, chatouillant votre palais, il se glisse en vous
langoureusement et se lie à votre sang, échauffant lentement votre corps.
Elle lui sourit, joint le geste à la parole et
trempe ses lèvres dans le verre qu’elle a prit avec elle.
Votre regard se met
à briller, votre cœur s’affole, vos sens se brouillent, tous ne font plus
qu’un, savourant ce cru rouge. Il est alors l’exciteur, l’affolant, le doux
aphrodisiaque…
Elle arrive à sa hauteur, replace une mèche
bouclée, retient sa respiration par trop agitée, qu’il ne voit pas à quel point
il la trouble. Rester digne encore et toujours. Jusqu’à se perdre totalement….
Connaisseuse de vin
je ne sais pas… Je l’apprécie au moins autant que les plaisirs de la chair.
Elle repousse l’assiette de la gourmandise, essayes de
lire à travers son masque, n’en peut plus de cette attente, elle se retient à
peine de lui sauter dessus, mais déjà, elle est toute offerte….
Il n’était besoin de le préciser ma chère,
il accentua sur
le mot puis jeta un regard ironique alentours mais surtout glissant sur elle,
comme une caresse appuyée s’insinuant dans le léger tissu entrouvert,
l’écartant sans ménagement pour faire jaillir à la douce lueur des chandelles
ses mamelons qu’il imaginait durcis, qu’il voyait poindre, presque.
Il repensa à la rondeur sucrée des framboises roulant sous
sa langue et en cet instant là où elle s’approchait dangereusement de lui, sans
le savoir n’avait été si près de le voir perdre toute retenue et en lieu et
place de la poularde c’est elle qui serait longuement dévorée. D’abord dévêtue,
entièrement dépouillée du moindre apprêt puis goûtée, humée, mordillée, bue …
je ne suis visiblement pas dans un couvent de bigotes
et vous n’avez rien d’une nonne ou bien on se ferait curé pour
vous approcher ou démon pour vous voir faillir.
Les plaisirs de
la chair… nous y voilà, pensa t’il. Les plaisirs de la bouche aussi bien. Tout était
intimement entrelacé.
Etait il pauvre d’esprit et débile de corps celui qui
pouvait jouir de l’un en restant insensible à l’autre ? La jouissance même
était de nature jumelle, le contentement d’un corps repu à qui l’on a fait
goûter maintes gourmandises.
Et il en connaissait un rayon.
C’était SON vice, et Asmodée semait la contagion au cœur
même des Royaumes, n’aimant rien tant que voir le monde succomber à
l’intempérance. Lui ? Il jouait. Endossait costume de maître queux, de
pique-assiette zélé ou les deux à la fois pourvu que cela serve sa cause.
Alors vous prendrez bien sa place.
Le geste à la suite
des mots ne lui laissa loisir de s’échapper. Bras et mains au bout, d’une force
peu commune, prirent Lolite par la taille et la soulevèrent fermement pour
l’asseoir à la place de l’assiette qu’elle venait de déplacer.
Pardonnez mon audace, ou votre imprudence, comme il
vous siéra.
Elle se trouvait
donc cette fois face à lui. Assise sur cette table. Les jambes un peu écartées
et sa robe soyeuse coulait entre elles deux.
Que vais-je faire selon vous ?
Il eut été facile
après la poularde de lui répondre qu’elle servirait de dessert. Mais il était
certain qu’elle ferait bien mieux que cela et tout en l’observant d’un air de
défi, il s’abstenait de la toucher.
Et c’était à la limite de ses forces.
Elle plonge son regard dans le sien, n'osant enlever
le masque d'Asmodée. Ses mains se posent lentement sur les bras la maintenant,
glissent sous ses manches et viennent caresser sa peau.
Elle le défit du regard, et lentement, faisant apparaître
un peu plus ses rondeurs, se penche en avant.
Sa bouche se colle à l'oreille de la gourmandise, souffle
doucement sur son cou, et vient titiller légèrement le lobe de sa langue...
Je suis la cerise
n'oubliez pas....
Sa main glisse sur la nuque de l'inconnu, et vient
jouer avec une mèche de cheveux.
Que feriez - vous devant
le plus exquis des desserts? Entameriez vous d'un coups de langue la crème
l'ornant, inondant vos lèvres du parfum sucré et léger de la mousse blanche?
L'esprit bien échauffé de la belle s'emporte, et se
voit hurlant de plaisir sous un coup de langue bien placé...
Entameriez vous la
part en mordant avec force dedans, lorsqu'elle emplit votre bouche, titillant
vos papilles?
Les dents.... Qui doucement viennent mordre les
rondeurs de la belle brune.
Ou y mêlerez vous
les doigts, coupant délicatement morceau par morceau ce dessert?
Ses doigts caressent le haut de ses cuisses, jouant
avec elle comme il le ferait de ce fameux gâteau.
Que lui feriez - vous subir cher Asmodée? Serait-il vite
engloutis, pour avoir le plaisir de reprendre une part de plus... Et encore
une? Et sûrement une petite dernière...
Elle se redresse sur la table, et la voix enrouée
achève:
Ou au contraire, me
mangerez vous lentement? Me ferez - vous fondre dans votre bouche? Me
dégusterez - vous comme vous l'avez fait de la poularde? Vous amuserez vous de
moi comme vous devez le faire avec tout vos plats?
Elle en salive d'avance, est prête à tout en cet
instant. Risque de devenir folle dans un cas comme dans l'autre. Lui, il
maîtrise son vice, sachant comment faire durer le plaisir du plus savoureux des
plats, mais elle....
Elle c'est différent. Lorsqu'elle se joue d'un homme, elle
sait le mener au bord du supplice, lui faisant perdre la tête et tout maîtrise.
Mais là... Elle est le jeu... Qui n'attendait que la partie commence.